Lettre 59 - 25/12/2013

Chers amis,

Une année plutôt difficile touche à sa fin : crises financière, économique, sociétale, démocratique, de l’intégration, de l’Europe avec des effets dévastateurs sur le plan social et une perte considérable de crédibilité de nos responsables politiques ; absence de solution d’un conflit comme celui du Proche Orient, alimentant un sentiment général d’impuissance, de révolte et de désespoir ; massacres interethniques et interreligieux en Centre Afrique, en Syrie et ailleurs… Et peut-être à la base de tout, crise de la culture générant un relativisme des valeurs, révélant et provoquant des divisions de plus en plus fortes au sein des sociétés qui se défont, se dé-créent et s’effondrent comme du sable…

De quoi avons-nous besoin dans cette traversée ? Non seulement du message de paix, annoncé par les anges de Noël, mais de femmes et d’hommes de paix, ardemment attendus par un corps social en grande souffrance. Les évangiles nous le suggèrent puisqu’ils sont jalonnés par des rencontres porteuses de paix : de la visite de Marie à Elisabeth au compagnonnage des deux disciples d’Emmaüs avec le Ressuscité en passant par l’envoi des Soixante-douze (Lc 10, 1-24) qui partent – deux par deux eux aussi – à la rencontre de chercheurs de paix. Ces envoyés se présentent les mains vides, désarmés et vulnérables, sachant surtout que leur parole de paix est impuissante s’ils ne tombent pas, dans les maisons où s’ouvre la porte, sur quelqu’un qui est déjà habité par cette même paix. Les échecs sont donc possibles. Se laisser atteindre par les refus, sans riposter à la violence par la violence ou par le mépris et ne pas cesser d’inventer d’autres voies d’approche, voilà ce qui caractérise les artisans de paix ; mystérieusement la paix « revient » sur eux, leur révélant qu’elle les habite dans une profondeur qui les dépasse, à jamais inatteignable par la violence, quelle qu’elle soit.

Réjouissons-nous, en cette fin d’année, de la présence parmi nous de la paix que nous recevons les uns des autres en nous la donnant ! Sans que nous y prêtions trop attention, la voie des artisans de paix dans laquelle nous sommes engagés, à toutes les échelles de la société et dans nos religions, donne corps à une nouvelle manière d’être et d’être présent ; manière qui se propage discrètement – pour qui a des yeux et des oreilles pour la voir et pour l’entendre. Il est bon d’indiquer les jalons qui ont été posés en 2013 parmi nous.

L’an 2013 a été marqué par la suite de notre pèlerinage 2012 à Jérusalem, avec le cercle vertueux qui en a découlé. D’abord l’invitation par Madame Naomi Tsur, maire-adjoint de Jérusalem, à participer au Premier Symposium International de Jérusalem sur les Pèlerinages du 22 au 24 avril 2013, nous a donné l’occasion d’approfondir le sens de « Jérusalem » : « S’engager dans une voie de sanctification en s’appuyant les uns sur les autres, avec la diversité des cultures, des nations et des traditions religieuses représentées dans la ville de Jérusalem, les fédérer dans une rencontre de centre à centre, de cœur à cœur, est condition de survie de la ville. C’est le seul chemin viable de la paix pour le monde entier. C’est la vocation de la ville de Jérusalem, comme c’est la vocation des modestes « Artisans de Paix » que nous espérons être. C’est pourquoi nous disons que Jérusalem est notre ville d’appartenance, la ville de notre naissance » (introduction de ma communication au symposium). Ce symposium fut l’occasion de rencontrer, cœur à cœur, le rabbin Chaïm Gruber qui a décidé de venir de Jérusalem à Paris pour donner gracieusement aux Artisans de Paix un enseignement sur les Lettres Hébraïques durant une semaine en juin dernier. Notre goût a été modifié par ces deux voyages dans la ville sainte. Il nous a fait sentir à travers nos rencontres interreligieuses dans la prière, ce que Pierre Teilhard de Chardin appelle la noosphère, à savoir le Souffle qui enveloppe la terre, reliant ceux qui s’entre-connaissent par Lui, avec Lui et en Lui, quelle que soient les distances spatio-temporelles. Il nous a donné le goût de l’itinérance portée par l’amour de Dieu et des frères qui nous sont donnés si nous consentons à nous rendre proches d’eux. Nous avons pris ainsi conscience de notre vocation à tisser une toile d’Artisans de Paix tout autour de la terre et une toile pérenne. Quatre jours après notre retour du symposium de Jérusalem, le 28 avril 2013, François de Palmaert avait organisé pour les Artisans de Paix, un pèlerinage à Chartres où nous sommes allés chercher le mystère de la Jérusalem céleste sans laquelle la ville trois fois sainte de Jérusalem ne peut trouver son accomplissement. Nourdine Mlanao qui avait organisé un pèlerinage pour des imams français à Jérusalem en 2012 en même temps que nous, a préparé pour les Artisans de Paix en 2013, un magnifique programme de Rencontre des Zawiyas aux Comores dans l’Océan Indien que nous devrons réaliser en 2014 ou 2015, quand nous aurons constitué une équipe désireuse d’y aller (au moins 10) et nous serons accordés sur une date qui convienne au groupe. En attendant nous avons projeté un voyage en Arménie du 25 octobre au 2 novembre 2014, sur la terre où Noé a vu la colombe se poser et où peut s’expérimenter mieux qu’ailleurs, l’œcuménisme.

Cette itinérance suppose un discernement éthique et sociétal indispensable pour accueillir les fondements de la paix, que Dieu nous donne comme des repères sur le chemin. La mutualisation Artisans de Paix / AIDOP (Agence Internationale pour le Développement et l’Opinion Publique)   dans la perspective du séminaire spécialisé « Spiritualité de l’interreligieux pour la paix » qui fait partie du Programme 4 d’AIDOP : « Pardon, Réconciliation, Justice » depuis 2012, s’avère très fructueuse. Nous remercions le Professeur Jean-Paul Durand op, canoniste et fondateur d’AIDOP, pour son intérêt et son investissement à notre égard. Il est lui-même en attente d’un Peuple témoin qui soit un Peuple de Peuples Artisans de Paix. La complémentarité dynamique entre nos deux univers implique de notre part vigilance, rigueur et pragmatisme, prenant en compte les réalités du monde ambiant. « Soyez candides comme la colombe, et prudents comme le serpent » nous dit l’Evangile. Si du côté d’Artisans de Paix nous avons un penchant pour la candeur, « la prudence est la sagesse des saints » nous dit saint Jean de la Croix. Avec le Professeur Durand, nous sommes à bonne école en ce qui concerne la prudence. C’est tout un programme. L’explicitation de notre démarche qui se fait dans le séminaire AIDOP / Artisans de Paix nous a permis de prendre conscience que s’engager dans la Voie des Artisans de Paix  c’est vivre de l’appel à Demeurer à la Racine du souffle, quelle que soit la confession des uns et des autres et ceci au carrefour de la nécessité et de la grâce, des puissances en présence et de ce que les puissances ne peuvent se donner seules à elles-mêmes : la Paix (7 octobre 2012). S’engager ainsi c’est vivre de cet appel en faisant offrande du Souffle (27 janvier 2013), devenant ainsi ce que nous sommes : corps livrés engagés dans une voie de libération, d’humanisation et (ou) de sanctification, en s’appuyant les uns sur les autres, avec la diversité des traditions religieuses représentées parmi nous (24 février 2013).  Alors viennent au jour les Fraternités des Artisans de Paix à vivre et à penser d’une façon plurielle (26 mai 2013). Les Fraternités Artisans de Paix (l’hébraïque, l’eucharistique, l’islamique et la bouddhique) nous caractérisent tous, dans la mesure où chaque tradition véhicule un message essentiel dont elle n’est pas propriétaire : il est pour l’humanité tout entière. Se donnent enfin à vivre et à penser comme des créations faisant partie de la Spiritualité de l’interreligieux pour la Paix, l’épistémologie (20 octobre 2013) et les théologies (23 juin et 24 novembre 2013) des Artisans de Paix.

Pour compléter le travail fait au cours de ce séminaire AIDOP / Artisans de Paix en 2013, nous avons eu deux réunions de travaux interscripturaires sur le thème de « Jérusalem, mère des peuples », inspiré de notre prise de conscience de Jérusalem comme lieu de notre naissance et du goût né dans la ville sainte, qui nous engage dans une itinérance à la rencontre des peuples de la terre. Les Fraternités Artisans de Paix cherchées depuis le 30 avril 2008, objet de la 1^ère rencontre interreligieuse de prières du 27 mai 2009 chez les Pères du Saint Sacrement, sont officiellement venues au jour en 2013. Quatre réunions ont lancé les quatre Fraternités Artisans de Paix : la Toraïque inaugurée par le Rabbin Gabriel Hagaï, l’Eucharistique par Christian Rogez, l’Islamique par Tarik Abou Nour, la Bouddhique par Lama Guetcheu, Vincent Pilley et Jean-Luc Castel. Christian Rogez et Tarik Abou Nour nous ont remis des articles relatifs à leurs interventions qui sont sur site. Nous les en remercions vivement. Nous devrons faire un effort d’écriture l’an prochain si nous voulons donner au trésor vivant parmi nous une pérennité. Merci à Christian Rogez et à Tarik Abou Nour qui ont fait cet effort. Tarik nous encourage à communiquer par l’écriture plutôt que par l’image, plus appropriée à la matière qui est la nôtre. Ces rencontres de Fraternités à vivre et à penser sont soutenues par nos réunions interreligieuses de prières : deux l’an passé, l’une dans la Zawiya Naqshbandi où nous a reçus Hajj Abdel Hafid Benchouk, l’autre à l’Eglise Luthérienne des Billettes où nous a reçu le pasteur Alain Joly, tous deux avec une grande amitié fraternelle. Elles sont soutenues aussi par notre Célébration œcuménique annuelle de l’Unité avec rencontre interreligieuse, qui a eu lieu en 2013, chez les Pères du Saint Sacrement, av de Friedland, Paris 75008, lieu – mémoire de notre première réunion interreligieuse de prières le 27 mai 2009. Elles sont soutenues enfin par notre Retraite interreligieuse annuelle qui a eu lieu l’an passé, chez les Pères Blancs de Mours où nous a accueillis notre fidèle et dévoué Jacques Cusset. Merci Jacques !

Au cours de l’année 2013 est apparu l’impératif de donner une pérennité au trésor vivant parmi nous, en écrivant un Livre des Fondations et un Livre des Constitutions Artisans de Paix qui résiste à l’esprit du monde, lequel se dé-crée, se défait comme un château de sable… Cette année s’achève en nous faisant sentir la nécessité d’aller plus avant en écrivant un Livre des Fondations qui rende grâce au don de Dieu qui se rend présent parmi nous, puis un Livre des Constitutions qui régule le groupe Artisans de Paix, si fécond et si fragile. Le cycle 2014 du séminaire AIDOP / Artisans de Paix, avec son exigence, sera une aide pour le sérieux de ces réalisations. Proposer une voie de sanctification ou de Salut est le propre de chaque religion. La proposer en s’appuyant les uns sur les autres, avec la diversité des traditions représentées parmi nous, sans faire de syncrétisme, est la gageure constitutive des Artisans de Paix.  Tenir notre route sans se perdre dans la confusion suppose que soit alliées une grande souplesse et une immense rigueur qui, ensemble, seront l’objet des Constitutions Artisans de Paix. Le Professeur Jean-Paul Durand op, qui souhaite pour AIDOP une mutualisation avec Artisans de Paix, sera notre Conseil Juridique en la matière.

Résister à l’esprit du monde en construisant un Centre Permanent de Rencontres Artisans de Paix dans un Haut-lieu symbolique de la planète, en l’occurrence celui du « Passage » que nous montrent diversement, Moïse, Jésus et Elie, au lieu émergé le plus bas de la terre, est une proposition concrète de la Providence en 2013. La Providence, infiniment aimable, nous a mis en présence d’un architecte, François Lacoste, avec lequel le projet de création d’un Centre Artisans de Paix pourrait se réaliser dans l’actuelle Jordanie,  au bord du Jourdain: au lieu du Baptême du Christ, entre le mont Nébo où Moïse quitta les siens avant leur entrée dans la terre promise et le lieu d’où Elie fut enlevé sur un char de feu. L’année s’achève donc en nous engageant dans la réalisation d’un projet de construction d’un Centre Permanent de Rencontres Artisans de Paix sur un des hauts lieux symboliques de la planète (conformément à l’article 2 des statuts de l’association), à la limite du désert du Sinaï, au lieu émergé le plus bas de la terre, du côté de la mer morte appelée à la vie dans le Livre d’Ezéchiel chp 47 avec l’édification d’une Maison de Prières pour tous les Peuples de la terre dont nous parle Isaïe.  Nous rendons grâce à Dieu.

Nous remercions tous ceux qui s’investissent et s’investiront dans cette grande Œuvre qui ne peut être donnée que parce qu’elle est reçue dans un esprit de résistance à l’esprit du monde, à commencer par ceux qui s’investissent dans la tâche ingrate de rassembler des moyens pour réaliser ce projet. Je pense tout particulièrement  à François de Palmaert qui s’est porté volontaire pour cette tâche, ainsi qu’à Tarik Bengaraï qui met en forme nos comptes et bilans. Pour porter ce projet, tous deux souhaitent s’investir dans la communication par l’écriture plutôt que par l’image très à la mode aujourd’hui mais qui peut toujours être trompeuse. Ils sont rejoints par Dan Arbib qui nous rappelle notre « mission de résistance à l’esprit du temps, esprit du triomphe de la publicité, de la rapidité et de la dispersion ». Et celui-ci d’ajouter : « Un tel esprit – qui n’a plus rien d’un esprit d’ailleurs – me paraît même contredire nos missions».

Nous saluons François Brikke, notre délégué aux affaires internationales, actuellement en Suède, qui aura certainement à cœur de s’investir aux côtés de François de Palmaert.

Nous espérons que nos délégués à Jérusalem s’investiront dans notre projet en Jordanie, notamment Mgr Joseph Kelekian, Exarque Patriarcal de l’Eglise Arménienne Catholique pour la Terre Sainte et la Jordanie.

Nous remercions enfin chaque adhérent pour sa présence et sa fidélité. C’est ensemble que nous marchons vers notre avenir, dans un monde où nous sommes appelés à devenir plus que jamais, des bâtisseurs de paix.

C’est cette propagation de la paix que je nous souhaite en 2014, chères amies, chers amis, en vous assurant de mon amitié cordiale et fraternelle.

Paula Kasparian
Présidente des Artisans de Paix