Que je lise aujourd’hui l’histoire de ma vie, celle des Artisans de Paix ou des événements d’Assise, l’Unité ne m’apparaît jamais comme étant d’abord une idée mais un désir dans la Foi. Si l’idée vient au monde, elle est portée par la passion d’un désir dans la Foi en une réalité inconnue, consentie. Le désir dans la Foi rend l’Autre consenti intérieurement, présent au sujet fini que je suis, faisant de mon être éphémère, un être en débordement de soi.
Cette Unité plurielle intérieure au sujet, constitutive de la conscience de soi-même comme un autre, est le levain de la conscience des artisans de paix. Elle se manifeste de fait, mystérieusement, lors de nos réunions « artisans de paix », se donnant à penser dans un 2nd temps. Elle sera l’objet de l’IRSAP (Institut de Recherche Spirituelle Artisans de Paix) qui devra penser le combat pour l’unité comme une pédagogie du désir dans la Foi.
La lecture des événements d’Assise nous montre cette profonde réalité : que pour que notre désir soit libre, vrai et fécond, il doit être incessamment porté, nourri, soutenu par l’ouverture à l’Autre qu’est la prière. La prière est une ouverture à la Réalité ultime, que celle-ci soit nommée ou non : elle attend d’elle, en dehors des capacités humaines à proprement parler, ce que le désir veut. L’important pour toutes les religions, c’est le mouvement de la prière, à condition que soit respecté le génie de chacune des prières.
Les Artisans de Paix, sont nés en tant qu’association en octobre 1994, pour perpétuer l’esprit de l’événement d’Assise en se donnant un haut lieu symbolique pour leurs rencontres, celui du Sinaï. Etre unifié, cela ne signifie pas être uniformisé mais au contraire être brisé : être soi-même saisi aux entrailles … Etre unifié, c’est demeurer dans la palpitation du Souffle, à la Racine du Souffle : en deçà du genre et de l’espèce, au niveau de la révélation du Nom imprononçable de Dieu à Moïse au Sinaï, Voix du silence fin entendue par Elie, Transfiguration de la matière en Lumière annoncée par Jésus entouré de Moïse et d’Elie à Pierre, Jacques et Jean. Etre unifié, c’est ne ressembler à rien, être singularisé : le salut c’est d’être unique, incomparable et donc sans jalousie possible, frère et fils de l’Unique.
Entrer dans le mystère de notre Unité plurielle
Ce Mystère de l’Unité plurielle par la grâce de la Descente du Souffle dans les entrailles de la terre, est le centre de la vie personnelle, le levain de la conscience, nescience plus vive que toute science. Il est la condition de possibilité de l’existence même des artisans de paix. Il est l’horizon qui s’est manifesté aux yeux du monde le 27 octobre 1986 sur la colline d’Assise conformément à l’inspiration du bienheureux Jean-Paul II, comme le mystère d’une élection convoquant les hommes à célébrer une alliance entre les religions : les religions vont-elles être en mesure de célébrer une alliance sans amalgame à l’échelle de la Terre qui sera une expérience de leur unité plurielle ? Telle est la question que maintient sur ce chemin en l’élargissant, la proposition du pape Benoît XVI pour le 27 octobre 2011 à Assise, puisqu’il convoque non seulement les hommes des différentes religions du monde mais aussi les incroyants de bonne volonté. En choisissant pour thème « Pèlerins de la vérité, pèlerins de la paix », il met l’accent sur le fait que l’alliance ne peut être que l’objet d’un désir, qui passe par les chemins de la prière.
Ce chemin est celui de la passion du désir qui place les hommes en situation de fiançailles spirituelles avec le divin : le dialogue cesse pour un moment d’être un dialogue du Sens ; il cesse également pour un temps d’être un dialogue de l’Action ; il se veut dialogue du Salut commençant et se poursuivant par la prière, ne s’achevant que lorsque Dieu choisit lui-même de combler la prière, faisant des fiançailles spirituelles, une noce.
Si nous réussissons à célébrer une alliance sans amalgame entre religions, ce sera à partir du mystère du Salut rencontré dans l’acte et le mouvement de la prière, à l’écoute d’une Parole sans bruits de mots, à la Racine du Souffle qui éclaire l’âme et le cœur. Il y a prière quand nous sommes sur la crête de la vague, en péril ou en suspens, reposant sur soi-même là où nous sommes vraiment nous-mêmes, ni dehors / ni dedans, en tension vers le Seigneur qui nous appelle à nous reposer en lui par la vie du souffle. Le 27 octobre 1986 à Assise, à 16h30, sous un ciel noir, Jean-Paul II dit : « Christus Pax nostri » (Le Christ est la Paix des Chrétiens). Puis : « Avec les religions du monde, nous partageons un profond respect de la conscience et l’obéissance à la conscience ». Jacques Vidal qui relate cet événement, le commente ainsi: « Cela signifie que nous devons chercher à rassembler et peut-être à unir les différentes religions en creusant davantage les fondations de l’homme. Nous devons aller au point de naissance du souffle ».
Demeurer à la Racine du Souffle : pèlerins de la vérité, pèlerins de la paix
C’est à la lumière de ce mystère de l’Unité que j’interprète pour ma part le thème retenu par Benoît XVI pour la commémoration d’Assise de cette année « Pèlerins de la vérité, pèlerins de la paix ». Dieu caché à la Racine du souffle, présente le salut à tous, en leur ouvrant l’accès à la vérité, de façon pleine et entière lors du Mystère de la descente aux enfers que signifie le Samedi Saint dans toutes les traditions chrétiennes. Le Samedi Saint, toute la création est à pieds d’égalité : le mystère est le même pour tous, même pour Marie qui croit sans savoir. C’est pourquoi le Samedi Saint est le Jour par excellence où les artisans de paix sont appelés à laisser venir au jour la vérité pleine et entière de leur être : si le salut est présenté à tous, tous sont appelés mais peu sont élus… Car l’accès à la vérité qui conduit à la paix n’est jamais automatique : il suppose une participation qui fait de l’homme un pèlerin de la vérité, un pèlerin de la paix, bref un artisan de paix. Les pèlerins de la vérité du monde entier se reconnaissent mutuellement dans le mystère de cet au-delà du temps qui fait de chacun d’eux, un artisan de paix.
Devenir pèlerin de la vérité, pèlerin de la paix à Assise… Le pape Benoît XVI en faisant cette proposition aux représentants des différentes religions du monde, se situe comme saint François, le « poverello » d’Assise, en époux de Dame Pauvreté qui fait de nous des frères. Les artisans de paix sont frères parce qu’ils marchent chacun selon la voie qui est la sienne propre, sans accaparement aucun de la vérité. Ce que signifie l’expression « pèlerin de la vérité, pèlerin de la paix ». Ce non-accaparement de la vérité fait place non seulement aux artisans de paix des différentes religions du monde mais aussi aux personnalités du monde de la science et de la culture qui se définissent comme non-religieux, comme l’avait voulu Madeleine Frapier lors de la création de l’association Artisans de Paix. Certes, la construction de la paix relève de la responsabilité de tous, croyants et incroyants. Mais plus profondément encore, la position des incroyants de bonne volonté peut jouer un rôle critique salutaire pour les religions. Nous en trouvons des traces dans la tradition biblique, fortement critique vis-à-vis des modalités de culte qui éloignent de Dieu.
Qu’est-ce donc que la Paix que nous ne savons pas construire et ne pouvons qu’accueillir ?
A une époque où l’argument d’autorité ne prévaut plus, où les scientifiques et les politiques reconnaissent leurs limites, les hommes veulent rencontrer non pas des maîtres mais des témoins. Dans cette perspective, Artisans de Paix a pour vocation d’être un peuple de peuples témoins, interdisciplinaire, interreligieux, international, appelé à revisiter le religieux en toute chose, afin de sortir de tout ghetto, scientifique (positivisme), politique (théocratie ou laïcisme) ou religieux (intégrisme). Pour y parvenir, nous nous proposons de mettre en œuvre une pédagogie du désir avec « Les exercices spirituels des artisans de paix », sur la base du Salut que nous ne nous donnons pas nous-mêmes, mais dans lequel nous nous engageons sans syncrétisme en nous appuyant les uns sur les autres. Nous nous engageons ainsi dans une voie de sanctification – le Salut qui est le but de toutes les religions – en nous appuyant les uns sur les autres, avec la diversité des traditions spirituelles qui sont les nôtres – c’est là, l’originalité des Artisans de Paix.
Paula Kasparian, Présidente des Artisans de Paix