Lettre 78 - 27/2/2021

S’est ouverte pour eux, une période de 40 jours pour apprendre à aimer. Cette période doit commencer en mars pour les orthodoxes. Contrairement à ce que dit Jean-Paul Sartre pour qui « l’enfer, c’est les autres », l’enfer, ne serait-ce pas se couper des autres ? Lors de l’errance dans le désert que symbolise cette période de 40 jours pour apprendre à aimer, l’homme est invité à se retirer dans sa chambre pour prier, jeûner et rencontrer intérieurement les autres par une voie mystérieuse… La prière lui fait embrasser la vie dans sa totalité, sa part lumineuse, exaltante, comme sa part sombre, tragique. Le jeûne lui apprend que la voie de la vraie vie passe par la prise en charge des malheurs qui accablent le monde. Il ne doute pas que l’immense aventure de la Vie, toujours en devenir, a besoin de chacun de nous, qui sommes habités par la faim et la soif infinies, pour accéder à un autre ordre de la vie. Cet autre ordre, c’est ce que nous appelons la Fraternité des Vivants.

Cette Fraternité à vivre par tous est ce qui fédère les Artisans de Paix de tous les temps, de tous les lieux et de toutes les confessions, faisant d’eux des Vivants ! Il aura fallu quarante ans au Peuple d’Israël, une fois libéré de l’esclavage d’Egypte, pour prendre possession de la Terre Promise et surtout pour se déposséder de ses idoles, se libérer du mal, apprendre à aimer le Dieu de ses Pères et apprendre à « s’aimer entre frères » ! Jésus, après son baptême, est poussé au désert par l’Esprit-Saint, pendant quarante jours. Là il est confronté aux forces du mal : le pouvoir dévoyé, la suffisance, l’orgueil. Là il fait le choix de la liberté: aimer et donner sa vie ! Cet usage de la liberté fait de lui un Vivant !

Aimer gratuitement, considérer l’autre comme un don… L’aider à se révéler à lui-même comme beauté, bonté et promesse… Faire croître la confiance, l’espérance et l’amour dans les relations que nous entretenons avec les autres… Tels sont les fruits de la Fraternité des Vivants qui s’invite spontanément parmi nous. Il s’agit d’une nouvelle Fraternité Artisans de Paix, née de façon informelle durant ce Carême, pour soutenir un membre associé d’Artisans de Paix, Patrick, actuellement en chimiothérapie. C’est une Fraternité transversale de priants faisant le choix de la vie, la Vie qui demeure, passe la mort et rallie les Artisans de Paix de confessions diverses, dans l’expérience fondatrice du toucher de l’Esprit. Elle réalise sans le vouloir le désir de Christian Rogèz et nous signifie, à sa façon, sa présence dans cette Fraternité des Vivants.

Pour ceux qui ne l’ont pas connu, je rappelle que Christian avait rallié les Artisans de Paix en 2010, à l’occasion du séminaire interspirituel 2010-2011 sur La Cité de Paix – Entrer dans les Demeures spirituelles des Artisans de Paix, dans lesquelles il s’est reconnu. Il a voulu me faire rencontrer son accompagnateur spirituel, alors Provincial des Carmes, spécialiste de l’œuvre de sainte Thérèse d’Avila. Christian m’a demandé de lui exposer les Demeures spirituelles des Artisans de Paix et pour chaque demeure, il lui posait cette question : « Est-ce que tu valides ? »… Sept fois, Christian lui a posé la question. Sept fois, il a dit « oui ». Sept fois, Christian s’est dit « c’est un miracle ! ».

Cette affinité de Christian avec ce qui est devenu le Chemin des Artisans de Paix lui a valu de devenir le premier Chargé de mission de la Fraternité Eucharistique des Artisans de Paix. Marthe Emon, femme de lettres, qui s’est déjà impliquée dans la nouvelle fraternité, est d’accord pour être Chargée de mission de la Fraternité Artisans de Paix des Vivants. Pour cette nouvelle fraternité et pour nous tous, je rafraichis la mémoire du Chemin des premières Demeures spirituelles des Artisans de Paix, les dernières devant être l’objet de notre prochaine réunion par Zoom, le 16 mars. Je rassemble le Chemin des Sept Demeures en trois moments : Naissance, Promesse et Accomplissement, sur la page Fraternités des Vivants. Ils correspondent aux trois moments de la vie mystique : purification, illumination, union.

Le temps actuel du Carême nous offre une pédagogie du chemin. Il est, en effet, une occasion de retrouver une certaine frugalité qui suscite en nous le désir de l’ultime, Dieu pour certains. « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière » est la parole reçue le mercredi des cendres. En se souvenant qu’il n’est que poussière, l’humain reconnait que toutes les gloires humaines dont il se pare ne survivront pas à l’inexorabilité et à la nudité de la mort. « Tout s’en va vers un même lieu : tout vient de la poussière, tout s’en retourne à la poussière » (Qo 3,20). – « Que la poussière retourne à la terre comme elle en est venue et le souffle à Dieu qui l’a donné », dit Qohélet (Qo 12,7). Le désir se réoriente vers le Souffle dont la vie se reçoit, instant après instant. Ce temps de renouvellement du désir nous fait entrer dans la 1ère demeure spirituelle des Artisans de Paix: un immense Désir. Avec lui, naît la Fraternité des Vivants.

La vie devient une respiration, l’essence même de la prière. S’ouvre alors un chemin de guérison, celui des demeures spirituelles des artisans de paix. Le Souffle conduit le souffle et avec lui le corps de l’homme et de la femme au désert, lieu de la Révélation si nous résistons à la tentation (2ème demeure spirituelle des Artisans de Paix: le Combat spirituel). Ici intervient le jeûne, comme arme spirituelle pour lutter contre tous les attachements désordonnés : aider à contrôler les appétits de la nature affaiblie, demeurer vigilants, utiliser plus sobrement et avec plus d’attention les paroles, les nourritures, les boissons, le sommeil et les jeux. Dans le désert, l’âme, qui est souffle, peut entendre des paroles sans bruit de mot, comme Elie sur le Mont Horeb (3ème demeure spirituelle des Artisans de Paix, l’illumination spirituelle de l’intelligence humaine : le noûs, qui n’est plus orienté vers le monde mais vers la vie du Souffle qui l’éclaire, devient miroir de la Lumière incréée comme la lune qui renvoie la lumière du soleil. Telle est la Promesse de la Fraternité des Vivants.

La Prière débouche sur le soutien mutuel qui accomplit nos Fraternités : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » » Parole du Seigneur. Isaïe 58, 9a. Pour nous soutenir sur ce chemin, partageons quelques belles prières.

Celle qui rallie le groupe « Saints ou rien », via Hozana, participe de la Naissance de la Fraternité du Vivant : « Ô Dieu, envoie-nous des fous, Qui s’engagent à fond, Qui s’oublient, Qui aiment autrement qu’en paroles, Qui se donnent pour de vrai et jusqu’au bout. Il nous faut des fous, Des déraisonnables, Des passionnés, Capables de sauter dans l’insécurité: L’inconnu toujours plus béant de la pauvreté. Il nous faut des fous du présent, Épris de vie simple, Amants de la paix.»

Celle-ci éclaire la Promesse de la Fraternité des Vivants, le passage par le désert qui nous fait goûter l’unité de la Vie en opérant un effacement des formes, comme le fait la nuit : « La nuit nous fait connaître l’unité : elle rassemble et confond les êtres que le jour délimite et sépare. La lumière comme un soupçon de jalousie, s’insinue à travers les choses et nous les fait croire étrangères l’une à l’autre. Mais lorsque la nuit est tombée, elles ne sont plus qu’une, comme des passagers sur une barque en péril » (Jean Grenier).

Cette autre participe de l’Accomplissement de la Fraternité des Vivants : « Faut-il attendre la nuit et que la barque s’effondre, pour découvrir notre unité, la plus haute, la plus heureuse, qui n’est pas celle de nos cendres, mais de la sève qui respire dans toutes nos branches ? Et encore, à quoi bon toutes ces guerres et ces maladies, si elles ne nous révèlent pas le miracle d’être vivant et d’être ensemble ? La grâce d’être ? Qu’est-ce que la vérité, si ce n’est une dualité surmontée et qu’est-ce que l’amour, si ce n’est la haine et la peur surmontées ? Se tenir la tête hors de l’eau et le cœur légèrement au dessus de soi-même ? » Jean-Yves Leloup

Fraternellement vôtre,
Paula Kasparian, Présidente des Artisans de Paix

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