« Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d’un vase, ou ne la met sous un lit ; mais il la met sur un chandelier, afin que ceux qui entrent voient la lumière. Car il n’est rien de caché qui ne doive être découvert, rien de secret qui ne doive être connu et mis au jour. » » Luc 8,16.
La Voie des Artisans de Paix est semblable à un arbre qui s’élève vers le ciel et étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre.
Je dédie cette lettre à celles et ceux qui de loin ont aperçu, aperçoivent ou apercevront la Voie des Artisans de Paix et qui sont venus, viennent ou viendront y faire leur nid et l’illuminer de leurs voix…
Une voie de crête entre deux abîmes, l’intériorité et l’extériorité auto-référencés
Non, la Voie des Artisans de Paix n’est pas un chemin ésotérique réservé à quelques initiés qui, dans le secret, transcenderaient les religions. Elle n’est pas non plus un chemin exotérique de soumission sociétale aux figures actuelles des religions, lesquelles varient dans l’espace et le temps. Elle est un chemin de crête entre ces deux abîmes, un chemin où intériorité et extériorité se marient sans jamais s’annihiler, un chemin d’ « équilibration majorante » entre les deux. « Majorante » signifie que l’équilibration en question porte des fruits de croissance semblables à ceux d’un arbre approfondissant d’autant mieux ses racines dans la terre, qu’il s’élève vers le ciel et étend ses branches à l’horizontale où les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid.
Béatrice Mauger est semblable à un oiseau du ciel qui aurait découvert l’arbre de vie des Artisans de Paix. Française de naissance, consacrée par l’évêque de Tyr, vierge-ermite à Al Qaouzah qui signifie « arc-en-ciel », Béatrice est engagée dans « un projet d’alliance de réconciliation et de pont entre les hommes, entre Dieu et les hommes, entre les hommes et la création », selon ses propres propos. Al Qaouzah se trouve au Sud Liban, dans la zone frontière avec Israël, terre d’épreuves où la paix est imposée par la Finul. La petite ville fait face au mont Hermon considéré par les Libanais comme le mont de la Transfiguration. Béatrice a découvert Artisans de Paix par son site. Elle a écrit le 13/02/2014 à Paula Kasparian qui lui a répondu le jour même, avec reconnaissance et enthousiasme.
Le 15/02/2014, Béatrice écrivait à Paula : « Grande joie vraiment que cette rencontre… Toucher de deux esprits, de deux vives flammes jumelles brûlant du même Buisson Ardent et sous le même Souffle. Ce double charisme est la voie royale pour « conduire les hommes sur le chemin de la paix » cantique de Zacharie, j’en suis intimement convaincue. Sur cette voie de la Voix du Silence, voudriez-vous devenir la voix de mon silence ? Très unie ». Une correspondance assidue s’est établie entre ces deux femmes qui se sont reconnues comme « sœurs mystiques ».
Une voie de noces entre intériorité et extériorité, où celui ou celle qui parle demeure à l’écoute de la voix du silence
Ce double charisme dont parle Béatrice, n’est-ce pas la voie royale du mariage entre intériorité et extériorité ? La prière silencieuse d’une laure monastique à Al Qaouzah et la parole des Artisans de Paix appelée à s’étendre sur toute la terre ? L’enracinement qui ne cesse de s’approfondir dans une tradition spécifique et l’ouverture aux autres, sans jamais trahir les régulations des dites traditions ? La participation obéissante de chacun(e) à la venue au monde d’un visage nouveau de la tradition dont il ou elle est témoin ? Pourvu que la parole de celui / celle qui parle, soit celle de quelqu’un qui écoute…
Béatrice a participé à la retraite Artisans de Paix du 5 au 7/12/2014 au Carmel d’Avon. Chacune de nos retraites et celle-ci en particulier a alerté les Artisans de Paix quant à l’impératif de vigilance pour ne sombrer dans aucun abîme, fût-ce celui de l’intériorité. Si la conscience du monde extérieur (1) court le risque d’idolâtrer le serpent des ténèbres (2) en mettant la main sur l’être (3), la conscience du monde intérieur (4) court celui de se laisser fasciner par le serpent des ténèbres transformé en serpent de lumière (5) : l’intériorité pure court toujours le risque de se laisser abuser par la lumière qu’elle est mais qui n’est rien par elle-même ; elle court le risque d’une illusoire toute puissance (6), qui ne va pas manquer de se heurter à l’épreuve salutaire de la réalité des traditions qui vont ou non la vérifier au sens propre de la faire vraie dans une histoire.
« On reconnaît un arbre à ses fruits » disent les traditions. L’intériorité vraie porte des fruits de société… C’est pourquoi elle est toujours à la frontière entre l’intériorité et l’extériorité : là où soi-même est comme un autre ; là où sont donnés des frères et des sœurs dans l’espace et dans le temps ; là où l’Eternel (Dieu pour certains, la Réalité ultime pour d’autres) et l’homme ou la femme, là où l’homme et la femme, là où les frères, les sœurs sont un en étant deux. Ce qui est le propre de l’Amour. Il se manifeste toujours très concrètement, dans l’unité plurale des Artisans de Paix.
Celle-ci prend le visage de la Fraternité Eucharistique des Artisans de Paix à Al Qaouzah, là où Béatrice Mauger a construit des ermitages « Fraternité Ibrahim – Artisans de Paix » sous le signe de l’évangile de la syro-phénicienne (7). Devra naître une association de fidèles de droit pontifical à vocation œcuménique et interreligieuse, pour que se vérifie (au sens de se faire vraie) la Fraternité Eucharistique des Artisans de Paix, si Dieu le veut. Nous ne sommes rien sans la Providence, mais la Providence attend un petit pas de notre part pour venir à notre rencontre. Nous rendons grâce pour le saut dans la foi de Béatrice qui a construit ces ermitages. A nous d’écrire le projet d’association de fidèles de droit pontifical à soumettre aux autorités compétentes pour la reconnaître.
Une voie de paix entre les nations dont l’avenir est lié à celui de Jérusalem
Suite au premier pèlerinage Artisans de Paix à Jérusalem en novembre 2012, je fus invitée par Mme Naomi Tsur, alors maire adjoint de Jérusalem, à intervenir à un symposium sur les pèlerinages qui eut lieu en avril 2013 à Jérusalem. C’est alors que je compris que la paix viendra de Jérusalem pour le monde entier ou ne sera pas. A Jérusalem plus qu’ailleurs, dans cette ville trois fois sainte où un groupe Artisans de Paix se trouvait en 2012 sous une rafale de roquettes, nous avons ressenti plus que jamais que Juifs, Chrétiens et Musulmans sont d’autant plus justes qu’ils remontent chacun au cœur de sa tradition et font chœur avec celles des autres. Nous sommes repartis avec cette certitude que la vocation des Artisans de Paix et celle de la ville de Jérusalem sont unes.
Françoise Tibika-Apfelbaum, docteur de l’Institut de Chimie de l’Université Hébraïque de Jérusalem, découvrit sur internet la trace du propos que j’avais tenu à Jérusalem en 2013 et voulut savoir qui les avait écrits. Elle tomba sur le site Artisans de paix. Le 21 mai 2015, elle m’écrivit : « C’est avec grand plaisir que j’ai découvert votre site et votre association. Je voulais vous demander pourquoi vous avez choisi le Sinaï pour construire le sanctuaire des trois religions plutôt que Jérusalem ? »
Je lui répondis ceci : « Croyez-vous à la Providence ? C’est elle qui guide l’itinéraire des Artisans de Paix. Un itinéraire spirituel est pragmatique, ouvert à l’Esprit qui souffle où Il veut… Le choix du Sinaï fait par Madeleine Frapier en 1994 n’est pas exclusif de Jérusalem. Telle que l’histoire se trame, la réalisation d’un Centre Artisans de Paix au Sinaï est actuellement impossible, pour des raisons politiques. Nous envisageons la possibilité d’un Centre en Jordanie, au bord du Jourdain, au lieu dit du Passage du Peuple Hébreu vers la Terre Promise, de l’ascension d’Elie et du Baptême du Christ. Nous retrouverions en ce lieu, tous les symboles qui rallient les Artisans de Paix au Sinaï : la mémoire de Moïse, d’Elie et des récits évangéliques de la Transfiguration, devenus le paradigme des Artisans de Paix. Une autre possibilité s’est ouverte, toujours pragmatiquement, et des ermitages pour la paix sont en construction à Al Qaouzah, au Sud Liban, près de la frontière avec Israël, dans la zone occupée par la Finul. Nous avons alors compris qu’il y aurait plusieurs Centres Artisans de Paix dans le monde. Si une opportunité se présentait à Jérusalem, nous en serions très heureux./…/ Si vous êtes intéressée par le Projet Artisans de Paix et voulez bien nous relayer à Jérusalem, travaillons ensemble. » La réponse ne s’est pas fait attendre.
Une voie de promptitude parce que la paix ne peut pas attendre
Françoise Tibika est venue à Paris où nous nous sommes rencontrées. Nous nous sommes reconnues comme « sœurs promises ». Elle m’a dédicacé son livre « Conscience moléculaire – De la conscience individuelle à la conscience universelle » (collection Science et conscience, éd. Le temps présent) en ces termes : « A ma sœur chérie, enfin retrouvée ». Fille d’un rabbin mystique, engagée elle-même dans l’approfondissement spirituel de sa propre tradition, elle m’a donné le livre de Moïse Hayyim Luzzato, « Le sentier de rectitude » (collection Sagesses, PUF), un livre de référence pour elle.
Invitée à être présente à un Conseil d’Administration des Artisans de Paix, la qualité de sa personne et la pertinence de sa proposition de s’engager auprès de nous pour créer un groupe Artisans de Paix à Jérusalem ont obtenu l’assentiment du Conseil à l’unanimité. Les membres du Conseil ont été touchés non seulement par la force de son enracinement dans la tradition juive et sa présence à Jérusalem, mais aussi par sa qualité de scientifique qui répond au Projet initial des Artisans de Paix de rassembler Juifs, Chrétiens, Musulmans et Scientifiques contemplatifs afin de prier pour la paix.
Membre du réseau Science et Conscience, elle pourrait publier son prochain livre en préparation dans notre collection Artisans de Paix à naître aux éditions franciscaines. En tant que chimiste, elle nous rappelle ce constat que l’énergie est incréée (1er principe de la thermodynamique). Ce que le père de la chimie moderne, Lavoisier (1743-1794), a exprimé ainsi « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » (8). Cependant, « bien que l’énergie soit indestructible, elle s’émiette lors des transformations énergétiques et « c’est ce phénomène qui est à l’origine de la crise d’énergie qui menace le monde » (9) : l’entropie du monde ne cesse d’augmenter (2nd principe de la thermodynamique qui correspond à la « flèche du temps » qui aurait été lancée lors de la naissance de notre univers). Si le désordre se fait tout seul (régi par les lois de la probabilité), l’ordre demande un effort d’organisation aussi improbable que la vie.
Une voie qui choisit la Vie qui engendre la vie, toujours de façon incertaine et improbable
Un système vivant n’est pas en équilibre avec son entourage : il se dirige vers l’improbable, vers l’incertitude, vers la vie qui engendre la vie, contrairement à la matière inerte qui se dirige vers l’équilibre, c’est à dire l’état le plus probable, là où réside la mort. Françoise Tibika attire notre attention sur le fait que chacune des molécules de la matière peut « choisir » la direction de son évolution lors de ses échanges avec le monde extérieur : elle peut se diriger vers l’équilibre, vers l’état le plus probable, là où réside la mort, ou vers « cette complicité des molécules de maintenir l’intégrité de leur édifice moléculaire, leur attraction vers l’improbable, vers l’incertitude (pour ne pas dire vers l’aventure), là où réside la vie éternelle, car en effet si notre vie à nous est éphémère, la vie elle, semble aussi éternelle qu’une pierre » (10).
La pensée de Françoise Tibika me fait penser à celle de Pierre Teilhard de Chardin qu’elle ne connaît pas encore. Françoise Tibika nous dit que tout organisme vivant est un système informé dont notre entendement ne connaît qu’une infime partie. J’ai souvent éprouvé que le corps est infiniment plus conscient que le mental, d’où l’appellation de « Toucher de l’Esprit » devenue familière aux Artisans de Paix. Pierre Teilhard de Chardin, paléontologue, parle de l’Esprit au cœur de la matière et du point oméga qui attire l’univers vers une complexification croissante.
Je cite un extrait de « l’Avenir de l’Homme » de Pierre Teilhard de Chardin : “L’avenir de la Terre n’est pas à chercher dans la contemplation d’une même vérité, ni d’un même idéal, ni dans l’assouvissement d’un désir suscité par quelque envie ou besoin matériel, mais dans l’attrait exercé par les personnes entre elles. Il s’agit de la rencontre de centre à centre, de cœur à cœur, des unités humaines, vers un esprit nouveau, un esprit d’amour.”
Une voie d’ouverture à l’Energie incréée qui attire les énergies créées soumises à l’entropie vers leur transfiguration, ce que nous appelons ici « devenir une voie de la Providence »
Le pouvoir d’attraction de la Vie éternelle qui motive les Artisans de Paix dans leurs vies ordinaires, leur fait sentir et gouter les temps messianiques à l’œuvre parmi eux : marchant en présence de l’Eternel ici et maintenant, ils deviennent une image de l’avenir au présent. Ce sentiment a été reconnu par l’ensemble des membres du Conseil d’administration qui se sont rassemblés en présence de Françoise Tibika et par Françoise elle-même. Il sera le thème du cycle de l’an prochain.
Sans doute est-ce ce sentiment de l’avenir au présent qui a poussé Béatrice à cette réalisation improbable d’ermitages pour la paix au Sud Liban et qui motive Françoise pour créer un groupe Artisans de Paix à Jérusalem…
Je dédie donc cette lettre à notre sœur mystique bien aimée, Béatrice Mauger, fondatrice d’ermitages pour la paix au Sud Liban, lesquels devraient donner à la Fraternité Eucharistique des Artisans de Paix, un visage incarné improbable à la frontière Liban / Israël…
Je dédie aussi cette lettre à notre sœur promise enfin retrouvée, Françoise Tibika-Apfelbaum, en travail de gestation d’un groupe Artisans de Paix à Jérusalem, qui devrait donner à la Fraternité Toraïque des Artisans de Paix sa dimension théophanique, tout autant improbable de mère des peuples…
Je la dédie encore aux sœurs ou frères mystiques espérés pour que se déploient dans le monde, un visage inédit des Fraternités Islamique et Bouddhique des Artisans de Paix, si telle est la volonté de Dieu. Nous nous en remettons à Sa Providence, attirés vers ce qui est incertain aux yeux du monde, et qui cependant est le seul choix possible si nous désirons vivre…
Bon été à chacun et à tous.
Nice le 29 juin 2015,
Paula Kasparian, Présidente des Artisans de Paix.
1 Conscience d’objets.
2 Qui, dans la Bible, symbolise l’herméneute.
3 Lorsqu’il est assimilé à une catégorie, ce que signifie la métaphore biblique de « manger le fruit de l’arbre de la connaissance ».
4 Conscience de soi.
5 L’herméneute qui prend la figure de l’auto-conscience, le Soi.
6 L’illusion de la toute puissance de la conscience illuminée par la présence divine est encore plus grave que les illusions ordinaires.
7 Qui nous raconte, à l’occasion d’une rencontre singulière homme / femme, la prise de conscience très concrète par Jésus, qu’il n’est pas venu pour le peuple juif seulement mais pour l’ensemble des nations. Nous devons manifester aujourd’hui qu’il n’est pas venu pour les Chrétiens d’une tradition particulière seulement, ni même pour l’ensemble des Chrétiens, mais pour l’ensemble de l’humanité, voire du cosmos en cours de transfiguration.
8 Françoise Tibika, Conscience moléculaire, coll. Science et conscience, éd. Le temps présent, Agnières (France) 2014, p.53
9 Op. cit., p.59
10 Op. cit., p.74