Plus que jamais, le temps est venu de bâtir la Paix entre les personnes de bonne volonté, à une époque où la violence bat son plein. Pourquoi la violence depuis les débuts de l’humanité ? Pourquoi cette violence inhumaine – au double sens où elle est intérieure à l’humain et où elle est disproportionnée par rapport à nos facultés humaines – est-elle en recrudescence aujourd’hui sur tous les continents ? Pourquoi la violence au Proche-Orient a-t-elle plus d’incidence dans le monde que la violence en Afrique, en Extrême-Orient ou en Europe ?
Autant de questions auxquelles Artisans de Paix se doit de chercher des réponses dans le cœur des femmes et des hommes de bonne volonté, ainsi que dans la société. Le Projet de l’association civile Artisans de Paix, en effet, est, dès sa fondation, de perpétuer l’inspiration du premier rassemblement d’Assise de prières pour la Paix, en lui donnant un lieu permanent rassemblant juifs, chrétiens, musulmans et scientifiques sur un haut-lieu symbolique de la planète, afin de bâtir ensemble une culture de la Paix.
Madeleine Frapier (1902-2002), fondatrice de l’association civile en 1994, avait pensé construire un Centre Artisans de Paix dans le désert du Sinaï où furent données au peuple juif pour l’humanité entière les 10 Paroles qui ont force de Loi transcendantale, dont celle-ci : « Tu ne tueras pas », commandement non reçu partout dans le monde. Les autorités égyptiennes ont répondu à Mme Frapier que si Artisans de Paix construisait ce Centre, il faudrait le faire entourer par l’armée pour assurer sa sécurité. Le Projet n’a pas pu se réaliser sur ce lieu, pour des raisons politiques évidentes.
Du lieu au temps des Artisans de Paix
Le 15 octobre 1994, en plein ciel (en avion), Madeleine Frapier rencontra Paula Kasparian qui reconnut dans le Projet Artisans de Paix une inspiration prophétique convergeant avec l’intuition spirituelle qui la porte depuis 1982. Paula a alors formulé l’hypothèse selon laquelle, en s’engageant dans ce que signifie le Sinaï dans la diversité des traditions de l’humanité, celles-ci pourraient trouver matière pour coopérer à la paix dans la justice. Le Projet initial d’un Centre permanent au Sinaï est devenu celui de la réalisation d’un Mouvement en marche dans le Souffle du Sinaï.
Nous sommes ainsi passés du lieu au temps des bâtisseurs de Paix, rassemblant, sans syncrétisme, des femmes et des hommes de bonne volonté et de décision, appartenant aux domaines scientifiques, éthiques et spirituels. Au fil du temps, d’une expérience commune et pourtant toujours différente du Souffle du Sinaï émergent les grands axes de l’existence humaine au service de la Paix. Quelle que soit notre tradition religieuse, nous reconnaissons que nous passons par des étapes d’humanisation semblables et nous nous reconnaissons frères et sœurs en humanité.
Ces étapes d’humanisation sont des étapes de transformation, voire de transfiguration. Les sens spirituels (les sens humains à proprement parler) nous ouvrent au temps de la Transfiguration où nous sommes chacun contemporain de l’Eternel. Sans cette ouverture, le temps est celui que mesurent les horloges, irréversiblement, réduisant à chaque instant le temps de notre vie à venir. Avec cette ouverture à l’Eternel se produit un saut qualitatif de l’expérience humaine du temps, soumise au discernement de chacun et en définitive à sa liberté. Ce saut nous fait entrer dans le temps des Artisans de Paix.
Le temps de la Transfiguration
C’est dans le désert du Sinaï que Madeleine Frapier avait voulu construire un Centre Artisans de Paix fédérant des juifs, des chrétiens, des musulmans et des scientifiques, afin de prier pour la Paix. Notre mission est de réaliser ce Projet en esprit, par une constante actualisation de la mémoire des théophanies de Moïse et d’Élie qui ont lieu au Sinaï, mais aussi des récits évangéliques de la Transfiguration qui n’ont pas lieu au Sinaï mais où Jésus est entouré de Moïse et d’Élie. Moïse, Jésus et Élie, venus au monde à des moments historiques différents, sont contemporains de l’Éternel lorsqu’ils s’entretiennent au sens fort de se tenir ensemble dans ces récits de la Transfiguration.
En 1998, en écoutant fr Michel de Goedt ocd parler des Récits évangéliques de la Transfiguration, à la « Maison sur le Monde de Mazille », face au « Carmel de la Paix », Raphaël Draï s’est écrié : « Comme Moïse, Jésus et Elie s’entretiennent au sens fort où ils se tiennent ensemble, Juifs, Chrétiens et Musulmans sont invités à s’entretenir. Et ceci constitue un véritable changement de paradigme du rapport entre religions ». Il voyait que ce paradigme serait un antidote aux théologies de la substitution d’un peuple de la Révélation à un autre, le dernier venu risquant toujours de succomber à la tentation de se substituer au(x) peuple(s) le précédant historiquement.
Paula Kasparian ajouta : « Ceci devrait transfigurer la matière du monde ». Ghaleb Bencheikh déclara qu’Elie est l’initiateur de la mystique musulmane. Elie a été considéré depuis lors par Artisans de Paix comme l’initiateur de leur vie spirituelle mystique, dans la diversité de leurs traditions et la Transfiguration est devenue le paradigme d’Artisans de Paix. En quoi Elie, tout en étant un prophète de la tradition juive, fait-il écho aux voies mystiques de toutes les traditions ? Quel rapport y-a-t-il entre ces traditions et le tronc juif qui a reçu les 10 Paroles au Sinaï ? En quoi la Transfiguration inaugure-t-elle une nouvelle temporalité qui, nous faisant passer de la violence à la Paix reçue et donnée, convoque les personnes de bonne volonté à se bénir les unes les autres, dans la joie de cet entretien qui transforme la face du monde en transfigurant le cœur des personnes qui y participent ?
De la violence à la Paix reçue et donnée en se bénissant les uns les autres
« L’interreligieux, le nom est commun mais la chose est rare », dit à Paula Mgr Guy Réal Thivierge, ancien prêtre à Chicoutimi au Canada. La rigueur est le contrepoint de l’ouverture des membres d’Artisans de Paix qui s’engagent, sans syncrétisme ni confusion des traditions, sur une ligne de crête où l’humilité est le premier principe des Artisans de Paix : on ne grandit en spiritualité qu’en grandissant en humilité. Ce principe est à la base de chacune de nos spiritualités et c’est à cette humilité qu’on reconnaît un artisan de paix. Ce qui signifie que chacun parle, à la place unique qui est la sienne, de ce dont il est témoin, laissant à autrui le soin de parler de la tradition dont il est lui-même témoin.
Notre association est une association d’interlocution, où la parole de celui ou de celle qui parle doit être celle de quelqu’un qui écoute. L’écoute est le second principe de base des Artisans de Paix. Il s’ensuit qu’aucun artisan de paix ne peut adopter une posture surplombante, que ce soit par rapport aux traditions ou par rapport aux disciplines. Il y a en effet parmi nous des personnes qualifiées dans les différents domaines que nous abordons ; et personne n’a toutes les qualifications. Nous ne retrouvons un phénomène complet que dans le dialogue interdisciplinaire.
Ceci est implicite à la nature de notre association qui est interdisciplinaire, interreligieuse et internationale, fondée sur l’échange entre tous et l’exigence de vérité : les Artisans de Paix se reconnaissent tous comme étant appelés à croître en humanité, à s’engager sur une voie de sanctification au regard de certains (ce qui est le but de leurs religions), mais ils s’y engagent en s’appuyant les uns sur les autres, avec la diversité des traditions représentées parmi eux (ce qui spécifie Artisans de Paix), en se bénissant les uns les autres, évitant les pièges de l’inclusion d’une religion dans une autre, comme ceux de l’exclusion, ou encore ceux du relativisme des valeurs et des religions. Cette bénédiction est œuvre de transfiguration accomplissant les 10 Paroles reçues au Sinaï.
Paula Kasparian, Présidente d’Artisans de Paix